Faire vivre le patrimoine bâti : un engagement autour de l'éco-rénovation pour le territoire des Vosges du Nord

Aurélie Wisser
Chargée de mission Patrimoine bâti au parc naturel régional des Vosges du Nord

Le parc naturel régional (PNR) des Vosges du Nord se situe au nord-est de la France, à la frontière du Pfälzerwald allemand. ll s'agit d'un syndicat mixte qui accompagne au quotidien les acteurs de son territoire à la recherche d'un équilibre entre l'activité humaine et la préservation de son environnement. Il fait partie de la Fédération nationale des parcs naturels régionaux, qui comprend cinquante-huit parcs, lesquels ont pour vocation d'asseoir un développement économique et social du territoire tout en préservant et valorisant le patrimoine naturel, culturel et paysager .
La rénovation du bâti ancien est un enjeu majeur pour l'attractivité du territoire. Elle oscille entre deux approches : d'un côté, la préservation du patrimoine bâti, des modes constructifs traditionnels et des savoir-faire qui nous ont été transmis, de l'autre la nécessité d'une rénovation énergétique dans une logique écologique, d'économie de ressources, de développement des filières courtes et de mise en œuvre de matériaux de construction locaux à faible énergie grise. Comment peut-on concilier de nos jours les enjeux patrimoniaux et les enjeux d'économie énergétique dans la rénovation des bâtiments construits avant 1948 ? Et comment réussir, dans le contexte de la mondialisation – confusion des représentations, achat de masse et surconsommation, banalisation du patrimoine – le pari d'innover pour faire vivre le bâti régional traditionnel ?

La mission Mut'archi - Créer une exigence auprès des propriétaires, faire connaître les artisans et les bonnes pratiques

L'amélioration thermique et la préservation du cadre de vie sont au cœur du défi de la transition énergétique. L'enjeu est de taille, car ce sont environ 30 % des constructions du territoire qui sont concernées. Grès, calcaire, pan de bois et torchis sont des matériaux et des modes constructifs qui réclament une attention toute particulière. Utilisés pour la plupart autour du XVIIIe siècle, ils constituent l'identité paysagère de nos villages et participent à l'attrait touristique du parc. La crise pétrolière des années 1970 aurait pu leur être fatale. Les procédés de rénovation utilisés à cette période ont souvent créé des pathologies liées à la méconnaissance du fonctionnement spécifique des matériaux et de leur mise en œuvre. Remontées d'humidité par capillarité, migration de vapeur d'eau, matériaux sensibles à l'accumulation d'humidité, autant de notions qui font aujourd'hui l'objet de diverses études.
Depuis 2004 , le parc a mis en œuvre une politique mutualisée entre plusieurs communautés de communes du territoire. Dénommée Mut'archi, son objectif est de mieux préserver et valoriser les caractéristiques de l'architecture traditionnelle locale en accompagnant les projets, en développant l'activité économique et en développant la connaissance autour du patrimoine bâti. L'ensemble de la mission s'articule autour d'une thématique forte : l'éco-rénovation.
Pour assurer cette mission, le PNR des Vosges du Nord et les communautés de communes mutualisent deux architectes conseils au sein de l'équipe du parc. Leurs interventions permettent d'accompagner des projets multiples qui répondent à des orientations définies en fonction des attentes et des priorités de chaque intercommunalité : inventaire, information, sensibilisation, assistance-conseil aux porteurs de projet, reconnexion des acteurs de la filière liée à la valorisation des patrimoines bâtis (artisans, architectes, services instructeurs).

Les conseils architecturaux sont gratuits et répondent aux demandes des habitants et des élus : état des lieux, travaux de réhabilitation, aménagement des combles et des granges, amélioration énergétique, aides financières… Le rôle du parc est de les sensibiliser au respect de l'architecture, des matériaux et des techniques spécifiques au bâti ancien. Le propriétaire doit avoir une exigence sur la qualité des travaux qu'il demande aux entreprises.
Chaque année, le programme d'animations « Habiter autrement » rassemble particuliers et professionnels autour de l'éco-rénovation. Ateliers architecture et paysage, conférences débats, stages pratiques – enduits à la chaux, en terre crue, isolation en béton de chanvre, torchis –, visites et expositions sont autant d'occasions de s'informer, de se rencontrer et d'échanger, avant de se lancer dans l'aventure de l'éco-rénovation. L'objectif du programme est de rendre accessible au plus grand nombre l'ensemble des connaissances techniques et des bonnes pratiques, connues à ce jour, pour la rénovation du bâti ancien.Une plate-forme numérique et un ouvrage visent à apporter et à compléter un certain nombre de réponses techniques et méthodologiques et permettent à chacun d'appréhender les conséquences de ses choix sur la qualité de vie et la performance énergétique finale du bâtiment.

Au fil de la mission, le parc a identifié des professionnels (artisans, bureaux d'études, architectes, fournisseurs de matériaux…) spécialisés dans la rénovation et s'est rapproché du monde économique. Car une fois sensibilisé, le maître d'ouvrage se demande évidemment vers quels artisans se tourner. En 2010, un premier recensement auprès des artisans a fait émerger leur besoin de créer un réseau d'échanges de reconnaissance de leurs valeurs et de leur respect du « travail bien fait ». En 2014, le réseau de professionnels « Éco-rénover dans les Vosges du Nord » est créé. Ses membres sont signataires d'une charte éthique les engageant au respect d'une démarche fondée sur le diagnostic complet préalable, sur la qualité thermique, architecturale, environnementale et du cadre de vie, sur l'économie du projet et sur la relation humaine. Le réseau met en ligne l'annuaire des artisans signataires de la charte .

Un projet transfrontalier sur l'éco-rénovation de l'habitat traditionnel pour pérenniser une offre de formation à destination des professionnels.

Comment prouver que ce bâti n'est pas voué à la démolition parce qu'il est perçu comme une « passoire thermique » et ne répond pas aux exigences de performances thermiques ? Les propriétaires du bâti ancien sont confrontés à :

• Une absence de diagnostic global du bâti. Lors de la réalisation de travaux, ils font face à différents avis techniques, parfois subjectifs et intéressés, émanant des professionnels de la construction. N'ayant pas les connaissances techniques et patrimoniales suffisantes, ils sont inondés d'informations, sans pour autant réussir à trouver l'information pertinente. De plus, chaque problème est traité au cas par cas, sans prendre en considération le bâtiment dans son intégralité ;
• Des solutions techniques non adaptées, notamment à partir des années 1980, par des rénovations thermiques mettant en œuvre des solutions techniques surdimensionnées, coûteuses et génératrices de pathologies.Pour remédier à cette situation, une étude scientifique spécifique au bâti ancien s'est imposée. C'est dans le cadre du projet européen Interreg IV intitulé « Habiter dans la réserve de biosphère Vosges du Nord / Pfälzerwald : énergie - environnement - patrimoine bâti régional » qu'il a été possible de conduire des études plus poussées d'analyse du bâti ancien. Deux bâtiments, à pans de bois avec torchis en remplissage et en maçonnerie de pierre grès, ont été analysés avec un diagnostic architectural et une simulation de scénarios de rénovation thermique, l'objectif étant le facteur 4 de réduction de la consommation énergétique.

La spécificité de cette étude réside dans la prise en compte du comportement hygrothermique des parois et d'une simulation sur dix à vingt ans, le temps que la pathologie s'installe.Des premières conclusions montrent que :

• Les isolants fibreux et ouverts à la diffusion de la vapeur d'eau – laine de bois, de mouton, de chanvre – sont les plus adaptés et pérennes s'ils sont bien posés ;
• Le pare-vapeur hygrovariable permet d'obtenir les meilleurs résultats car permet aux parois de se réguler, voire de s'assécher en cas de voies d'eau accidentelles ;
• Le polystyrène n'est pas envisageable en ITI dans une maison traditionnelle en colombages, car il empêche les poutres de sécher vers l'intérieur en été ;
• L'humidification de la poutre dicte de ne pas mettre plus de 10 à 12 centimètres d'isolant fibreux ; au-delà, elle peine à s'assécher, notamment au droit des ponts thermiques structurels ;
• La mise en œuvre d'enduits extérieurs et intérieurs à la chaux est préférable ;
• Traiter le phénomène de capillarité « à la source » est impératif, ainsi que protection des façades aux pluies.

Mais au-delà des résultats techniques, cette étude a surtout mis en évidence une méthodologie d'éco-rénovation en trois étapes, du diagnostic à la faisabilité et la gestion du chantier, applicable pour tous types de patrimoine bâti. C'est la publication d'un guide des bonnes pratiques en éco-rénovation et la mise à disposition de toutes les études qui ont permis de construire un socle commun pour tous et de développer un cycle de formation éco-rénovation du bâti ancien, comprenant des journées théoriques, pratiques et des visites.

À la suite du succès de la première formation, le PNR des Vosges du Nord a construit un partenariat avec le PNR des Ballons des Vosges et l'Institut national des sciences appliquées de Strasbourg pour prolonger et proposer une formation à destination des professionnels et des maîtres d'ouvrage. Cette formation est organisée en cinq modules de deux jours, animée par l'architecte François Liermann. La formation mêle apports théoriques, outils méthodologiques, études de cas concrets et applications pratiques, avec des intervenants locaux spécialisés dans le bâti ancien. L'enjeu est de rendre accessible la démarche globale de l'éco-rénovation pour démultiplier les projets de réhabilitation – thermique, architecturale et saine – et, à terme, du nombre d'artisans et de professionnels formés et informés sur les bonnes pratiques.
À l'issue de la formation, les participants seront capables de conduire un projet d'éco-rénovation, de mettre en œuvre les techniques spécifiques et d'inscrire leurs pratiques dans la logique collaborative et interdisciplinaire d'un chantier d'éco-rénovation. La formation s'appuie sur la participation d'un public mixte favorisant le développement des réseaux professionnels sur le territoire : artisans, architectes, bureaux d'études énergétiques, ingénieurs, maîtres d'œuvre, industriels, associations, étudiants, techniciens de collectivités et tous les acteurs du secteur public, habitants… Tous les professionnels du bâtiment travaillant dans la rénovation du bâti ancien sont concernés.

Une prise de conscience collective pour répondre au défi climatique, à l'échelle de l'habitant, de la collectivité et de l'État

Les enjeux énergétiques croissants ont engagé les acteurs du territoire dans une réflexion sur la mise en œuvre de matériaux adaptés à la rénovation énergétique du bâti ancien, essentiellement en structure pan de bois ou moellons de pierre, visant des caractéristiques hygroscopiques particulières. En effet, la prise en compte de la migration de la vapeur d'eau dans l'isolation de ces patrimoines est essentielle au maintien de sa pérennité structurelle. L'accent est donc mis sur une production locale de matériaux isolants ou correctifs thermiques, des matériaux à la fois biosourcés et géosourcés. Pour que de tels matériaux puissent être fabriqués localement et employés dans des rénovations publiques ou privées, ils doivent bénéficier d'un marquage CE et des avis nécessaires à leur mise en œuvre.
Cette démarche s'inscrit dans la mobilisation initiée par le PNR des Vosges du nord auprès des acteurs de la construction pour une filière plus respectueuse des enjeux environnementaux. Par exemple, le PNR a travaillé sur la publication d'un guide sur la filière roseau en collaboration avec le PNR de Brière et la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement du Grand Est. Historiquement utilisé pour les toitures de chaume, le roseau constitue une fibre naturelle adaptée à la rénovation des patrimoines bâtis. Mises en œuvre en vrac ou en panneau, les fibres des tiges des roseaux permettent d'isoler les murs afin de renforcer les performances thermiques des bâtiments.

Le patrimoine bâti est le reflet du lien entre l'homme et son territoire. Il est aujourd'hui menacé par des interventions qui le banalise et par l'utilisation de techniques constructives inadaptées. Faire vivre le patrimoine bâti est devenu une mission complexe, qui nécessite également la prise en considération d'enjeux dépassant les questions purement techniques (coût pour les habitants, attractivité et image de l'ancien, complexité de la mise en œuvre et manque de savoir-faire spécifiques). Dans la prochaine décennie, le patrimoine bâti sera soumis à des pressions importantes. Il risque de disparaître au profit de la création de surface foncière, dérives déjà observées et à anticiper dès aujourd'hui dans le cadre de la future loi Zéro artificialisation nette.
La rénovation reste un parcours du combattant pour nombre d'habitants. Toutefois, la mission du parc a déjà contribué localement à lever quelques freins culturels et techniques. Ces anciennes fermes représentent aujourd'hui un potentiel important en termes de volume à aménager. Un enjeu fort est de leur donner un nouvel usage en fonction de nos modes de vie actuels, tout en prenant en compte les particularités de l'existant. Une rénovation réussie constitue aujourd'hui un véritable enjeu technique. Il s'agit bien de ne pas reproduire les mêmes erreurs commises pendant des décennies, notamment en matière d'isolation thermique.
Cette reconnaissance doit se faire à l'échelle nationale pour tout le bâti ancien d'avant 1948 et doit se traduire notamment sur le terrain par les aides à la pierre. Malheureusement, avec l'accélération de la réduction des consommations énergétiques, les techniques d'isolations inadaptées – matériaux non respirants, comme le polystyrène appliqué en ITE – sont subventionnées au risque de remettre en cause la pérennité de ce bâti. Il en va de la conservation structurelle de ces bâtiments et de la valorisation de leurs qualités patrimoniales et architecturales.
Loin d'être une préoccupation passéiste, la mise en valeur du patrimoine rural bâti est la condition première d'un aménagement respectueux des traditions régionales et un puissant levier de la dynamique économique et touristique.

A lire également : Eco-rénover, une solution pour consommer moins et mieux -